Un master-atelier de Naiara Bellart
article de François Lacroix
Nous avons vécu ce samedi 7 juin une grande aventure avec Naiara Bellart ! Elle nous a emmené sur les traces des premiers humains à la rencontre des peintures rupestres qui se sont révélées proches de nos univers numériques en terme de fonction symbolique, culturelle et de lien social.
Naiara a planté ce décor curieux qui fait se toucher feu de bois et casques de réalité virtuelle ! L’art thérapie pour Naiara, c’est un outil de dialogue avec soi-même, dans un monde qui croit trop souvent que les seuls piliers du langage et des mathématiques forment la construction de notre humanité.
C’est passionnant de démarrer un atelier spécialisé sur le numérique … en commençant par écouter les messages de notre vie sensorielle, de notre corps ! Naiara nous entraine à mettre notre intellect et notre activité symbolique au service de nos éprouvés corporels, pour leur donner réponse. Les ateliers du labOo tentent justement de résister au clivage entre esprit et corps, dans la voie ouverte par Spinosa et toute la phénoménologie de la perception à sa suite. Naiara nous propose de voir notre corps comme une maison dont il faut prendre soin, mais plus loin encore, nous pouvons aussi concevoir que « nous sommes maison » ! Il n’y a pas de pensée s’il n’y a pas corps, et il y a des pensées « organiques ».
J’ai été troublé le matin même de l’atelier par la découverte d’un philosophe (Casati, 2022) qui considère l’océan comme un contenant et un contenu. L’océan est un contenant car il accueille la vie, des milliers d’être vivants. Mais il est aussi un contenu d’une part par sa taille et ses profondeurs qui troublent nos capacités de représentation, mais aussi parce qu’il est une matière, un fluide, en perpétuel mouvement. Et sans ses courants, ses mouvements continus et variés, la vie s’arrêterait.
Voilà une conception du cadre fertile pour nos réflexions d’art thérapie ! Et pour le corps ? Notre corps aussi c’est cette « maison » qui accueille notre « moi », mais c’est aussi notre moi, au sens de son mouvement intrinsèque. A la fois ce contenant tangible dont on perçoit les frontières, à la fois ce fluide en mouvement informe et fertile à la fois.
Tout le travail du labOo, à l’image de ce master-atelier, est d’explorer et de nourrir cet espace entre la technique et la matière sensible, entre le corps contenant et contenu, entre virtuel et actuel, cet endroit qui est l’atelier de notre humanité.
Et pour parler d’atelier et plus concretement, voici quelques retours de nos aventures !
Nous avons travaillé avec les robots ozobot. Ces petits robots suivent une ligne dessinée et réagissent selon les formes et les couleurs de la ligne.
Naiaira nous a proposé de dessiner une ligne en pensant à notre histoire (ou une tranche;) de vie. Puis on pose le robot sur la ligne et on le voit réagir, suivre la ligne de l’histoire et réagir ! Au delà de la surprise technique, nous sommes encouragés à être à l’écoute à nos vécus intérieurs, nos résonances.
Quelques retours :
C’est très ludique ! Très intéressant de se connecter à son histoire de vie (encooooore ;) et tout à coup de voir ce petit robot clignoter, changer de couleur, tourner sur lui-même, danser, repartir en arrière ou sortir de la page et s’arrêter ! Il y a une possibilité de prendre de la distance ainsi, d’avoir une position méta, un peu de spectateur.
Il y a plein de surprises, de l’inattendu avec le robot qui s’arrête, fait demi tour ou fait la fête tout un bas d’un précipice de notre histoire ! Cela peut participer à travailler notre histoire de vie comme une matière, à modeler.
Nous avons ensuite utilisé les casques de réalité virtuelle. La proposition de Naiara était de continuer d’explorer le processus, les éprouvés vécus avec l’histoire de vie et le petit robot. Guidés pour chausser le casque et découvrir les outils, nous avons été projeté dans un univers où nous pouvions à notre guide créer des lignes, des couleurs, des structures et des mouvements…
Les retours :
La question des repères et posée. Selon l’environnement virtuel choisi (par ex interstellaire ou montage) on peut se sentir vraiment perdu. Le fait de créer des formes devient très vite une ressource en terme de construction de repères, et même de résilience.
Les vécus sont assez différents. La plupart des personnes (nous sommes 12) ont vécu une aventure ludique et onirique, mais certaines ressentent des nausées ou des maux de tête. C’est lié à ce manque de repère, lui-même lié à l’environnement choisi. Il semble que les personnes qui ont évolué en voyant les autres et leurs créations dans la même salle n’ont pas ces effets !
Par rapport à histoire de vie, le fait d’être « projeté » dans un espace virtuel sans voir les autres personnes du groupe et dans un univers interstellaire renforce le côté vide existentiel et dissociation
La question de la fin de l’atelier pour sortir de l’univers : prendre le temps de sortir de la salle virtuelle avec le casque, puis quitter le casque lentement.
Il y a un témoignage très agréable de puissance, de liberté, d’être comme dans un rêve. Je peux créer un espace, le mien, et je peux en sortir. Je peux l’agrandir et entrer dedans, le faire tout proche de moi et me sentir « dans mes lignes » ou je peux le rapetisser et le faire tenir dans ma main. Sensation de décupler les possibilités du corps, sortir des limites du corps.
Quand on est à plusieurs dans la salle, beaucoup de plaisir à co-créer
outil très instinctif mais on peut aussi voir l’intérêt de connaitre un peu plus la technique pour se sentir plus libre et moins « objet » de la technique
Liens intéressants :
Roberto Casati, 2022, « philosophie de l’ocean » PUF. https://www.youtube.com/watch?v=GpU8H-h-jhA
https://dreamscapegeneva.com/fr/adventures/1602-escalade/